L'âge comme argument commercial
Bien sûr je ne blâme pas ces visiteurs, je suis bien trop content de voir qu'ils ont fait l'effort de se déplacer dans l'exposition, et j'en profite pour mieux leur expliquer ce qu'est un bonsai. Nombreux sont ceux qui me disent qu'ils ont acheté un orme qui a 7 ans, ou 10 ans suivant les cas.
L'âge indiqué sur les étiquettes des bonsais de supermarché ou jardinerie est complètement bidon.
Vous pouvez facilement diviser par deux pour avoir l'âge véritable. Pourquoi font-ils cela ? Tout simplement parce que le cerveau humain va accorder plus de valeur a quelque chose de plus vieux. C'est uniquement du marketing. De plus les producteurs utilisent le fait que nous n'avons pas vraiment de référentiel pour comparer. En Chine, où ces arbres sont produits, ils poussent très vite, forcés à grands coups d'engrais. En Europe ils poussent beaucoup plus lentement.
Dans l'inconscient des gens, cette notion d'âge est pas un signe de qualité. Plus il est vieux, mieux c'est. Et un jour j'ai voulu vérifier cela.
Chaque fois qu'une personne me demandait l'âge du bonsai, je donnais une réponse différente. Une fois 10 ans, une fois 150 ans, une fois 25 ans. Parfois je me disais que c'était tellement absurde que j'allais me faire prendre à mon propre jeu. Et bien non. Et le pire, c'est que les visiteurs restaient plus longtemps devant un arbre pour lequel j'avais dis 150 ans, que lorsque j'avais dis 10 ans.
Si certains d'entre eux lisent ces lignes, j'espère qu'ils me pardonneront, mais le résultat est éloquent. L'âge a une influence sur l'image que nous percevons du bonsai. Et je pense que tous les bonsaikas, moi compris, sommes tombés dans ce piège lorsque nous avons découvert le monde fascinant du bonsai.
Plus que l'âge réel, c'est l'âge perçu qui est le plus important
Pour connaître l'âge d'un bonsai, il faudrait scier son tronc et compter les anneaux de croissance. Et cela mènerait à la mort de l'arbre, ce que bien entendu nous ne voulons pas. Il existe une méthode alternative, quand on coupe une branche, qui est de compter les anneaux de cette dernière puis extrapoler pour trouver combien il y en aurait pour le tronc.
Mais finalement est-ce que c'est si important que cela de savoir quel âge a un bonsai ?
Et quand on commence à s'intéresser plus précisément à cet art, la réponse est clairement non. Car en bonsai, tout est illusion.
L'art en général et le bonsai en particulier doit inspirer, évoquer, créer une émotion. Le Wabi Sabi est un concept esthétique japonais qui est au coeur de l'art du bonsai. C’est la beauté des choses modestes et humbles, l’altération par le temps, la décrépitude des choses vieillissantes.
C'est une notion qui est très compliquée à appréhender pour nous les européens tant elle est éloignée de notre culture. Pour l'instant, et pour se concentrer sur le bonsai, retenons simplement que le Sabi renvoie à la recherche de la beauté dans le temps qui passe et les marques qu'il laisse sur un arbre. L'écorce qui devient plus rugueuse, les grosses branches très ramifiées, les blessures laissées par les aléas de la nature sont autant de traces laissées par le temps qui passe. Il devient donc évident qu'un arbre jeune, avec son tronc frêle et son écorce lisse est bien loin de l'image du vieil arbre qui lutte pour survivre qu'évoque ce concept japonais.
Le travail du bonsaika est donc de créer cette patine du temps. Année après année, nos travaux ont pour but de donner l'image d'un arbre de plus en plus vieux. Bien plus vieux qu'il ne l'est réellement.
Le bonsai n'est finalement qu'une illusion née de beaucoup de travail.